Certaines Blessures Ne Guérissent Jamais...

J'sais pas pourquoi j'écrit ça...
J'sais pas pourquoi j'sais plus m'arrêter de pleurer, ni même pourquoi tout semble si petit autour de moi, absent mais là à la fois. J'ai le coeur froid malgré la chaleur qui règne autour de moi...
J'sais plus pourquoi j'écris ça... Mais j'm'en fou... Parce que ça m'importe pas... Parce que c'est comme ça...

J'pense pas qu'on peut considérer ça comme une histoire... J'sais pas alors j'met ça là... comme ça, d'toute façon j'crois pas que ça gène quelqu'un...

Pas Besoin D'respirer... Juste D'me Vider La Tête D'ces Idées...



J’ouvre mon carnet à la première page, grimasse, il est mouillé. Est-ce la pluie qui en est coupable, ou ces larmes qui ruissellent sur mon pâle visage ? Je ne le saurais sans doute jamais. L’encre coule, déforme ces mots pitoyablement déposés sur cette feuille blanche. Le morceau de papier semble pleurer, bien que muet, je l’entends presque hurler. Il me demande de s’exprimer. Il veut la liberté. Peut-être se transformera-t-il en ailes. Peut-être s’envolera-t-il haut dans l’étendue du ciel. Des ailes de plumes blanches, si douces, des ailes d’anges. Moi aussi, je voudrais bien voler. Haut dans le ciel, entendre le vent susurrer des paroles apaisantes, me sentir libre et crier.

Mais c’est un rêve, juste une illusion, fruit empoisonné de ma folie. Je le sais, il n’y a pas lieu d’espérer. D’ailleurs, ici, il n’y a pas de ciel, pas de brise légère, à peine de la place pour respirer. Il n’y a pas de bruit, doucement, mes lèvres ont oublié comment crier. Il n’y a pas de vie, la mienne c’est perdue dans ce couloir où il y a à peine de la place pour avancer.

La seule chose qui nous empêche d’abandonner, c’est ce petit quarré de terre clôturé de barbelés où nous venons nous réfugier de onze heures à midi et de quatorze à seize heures. On est sans droit pour protester, ces horaires, déjà serrés, ne sont là que pour nous empêcher d’oublier que d’autres, loin derrière ces barbelés, vivent une vie enjouée de rires et de bonheur. Ils appellent ça la fatalité, moi, je ne lui donnerais aucun noms, c’est déjà trop dur à accepter.

On est des centaines, des milliers, à se sentir seuls, enfermés entre quatre murs immaculés. Toute cette étouffante blancheur qui nous permet juste de mieux sombrer, n’est que reflet du vide lacérant de malheur, qui comble nos pauvres vies heures après heures.
Ici, tout respire la mort, et la seule chose capable encore de nous étonner, c’est de ne toujours pas l’être, malgré l’enfer dans lequel s’enfoncent nos âmes depuis le tout premier jour de notre séjour dans ce centre spécialisé…

Je suis une misérable ombre sur laquelle la vie n’a de cesse de s’acharner. Enchainée dans la pénombre, trompée par mes propres mensonges, je suis égarée. Je suis une âme sans état d’âme, un être qui passe sa vie à ne pas l’être. Je suis amoureuse du temps, monotone, il me chantonne sans vergogne, souffrances et agonie, le sourire d’un jeune homme, un sombre soir d’automne.

Qui parle de haine, qui parle d’amour ? Puisque les deux apportent toujours, une larme salée, la plaie béante d’un cœur brisé. Qui parle de joies laissées dans le cœur, qui parle de lois gravées dans la chair ? Les deux apportent toujours cette douleur d’été, ce filet noir tant détesté…

Je pense que je m’appelais Lucy, peut-être Mélanie, mais quelle importance ? Puisque personne n’est là pour s’en soucier. Je pense que je venais d’Afrique, ou d’Amérique, d’un coin reculé du Mexique, mais quelle différence ? Personne n’est là pour le remarquer. Je suis seule et je l’ai toujours été. C’est bien la seule chose en moi qui, après tellement d’années, n’a pas changé.

Mon âme s'est enfuie de sa cage. Mon corps lâche, laissé pour otage.
Le tracé brulant de ses mains perdure et mon cœur saigne. Moi je patiente simplement qu’il cesse de battre.
Ce monde ne sera jamais ce que j’aimerais qu’il soit. J’ai beau prier, tendre les bras, attendre, rien ne change, rien ne changera. C’est ainsi, c’est comme ça.
Je pense que ce que j’éprouve est plus de la peur qu’autre chose. Peur que la mort ne me voie pas, peur que les anges ne me trouvent pas. J’ai peur de l’espoir que je sens couler en moi, tell un flot de conscience, il me sort de ma transe. Il vient vers moi. Je crie, on ne m’entend pas. Je pleure, on ne me console pas. J’ai peur, la mort ne vient pas. Seigneur aidez-moi, je n’y arriverai pas…

Cette bataille est perdue d’avance, alors à quoi bon s’apitoyer ? La douleur est trop vive pour m’éprouver. Comme la lune paraissant s’effriter, je me laisse peut à peut ronger par la prénombre. Un jour je serai réduite en poussière, et enfin je serai fière. Car on oublie toujours que tout s’arrête un jour. Personne n’échappe au destin, pas même le plus malin. Ne vivons-nous pas tous en vain ? Alors à quoi bon se réveiller chaque matin, et voir d’un air blasé, l’aube d’une matinée que demain risque d’oublier ? Ces vies éphémères, que tous tentent de parfaire, à la fin ne servent à rien. L’Histoire ne retient rien, et bientôt, l’homme ne se souvient de rien.

Un jour je deviendrai néant, et j’en serai heureuse. Car je pourrai enfin m’envoler, hors de cet enfer remplit d’infirmières, de ce bloc de bêton uniquement fait de misère. Cet endroit, vous l’appelez ‘‘asile’’. Mais moi, si je devais lui donner un nom, je pense que je l’appellerai ‘‘cimetière’’. Oui, cimetière de vivants réduits à l’état de somnifères. A la seule différence, que ce ne sont pas là des roses que l’on nous impose, mais des pilules blanches créant le néant, nous faisant tomber dedans.

De ma vie ne reste rien, et quand mon regard s’ouvre à demain, je ne vois rien. De mon espoir ne reste que ce vide accablant de malheur. J’ai perdu la notion des heures, bientôt j’oublierai celle des couleurs.
Mes lèvres sont gelées, je les devine mauves. Mon corps aussi, est glacé, il est très pale, presque translucide. Et mon cœur ? Lui aussi est froid, gelé, glacé, frigorifié… de quelle couleur est-il ?

Recroquevillée dans un coin de ce que l’on nommerait facilement ‘‘prison’’, je ferme les yeux. Parce que c’est mieux. Tout est plus beau quand on ne le voit pas. Tu m’auras au moins appris ça en t’ouvrant à moi. Et je me remémore douloureusement le parfum de tes cheveux, la caresse de tes lèvres, le sourire de tes yeux.
Etais-je une perte de temps ? Ne suis-je que jeux, qu’ignorance ? La réponse n’a pas d’importance, le souvenir qui me reste de toi n’est que souffrance… La chaleur de ta main ne réchauffe plus la mienne et pourtant fait saigner les rebords de mon cœur.

Une main froide s’empare de la mienne. Je lève la tête et découvre Alissa. Poupée de porcelaine, elle ne parle pas. Personne ne parle. Car même quand on parle, personne ne nous croit. La question ne se pose même pas. Nous sommes tous fous, voila pourquoi…

Je secoue légèrement la tête et presse sa main. Les mots n’auraient servis à rien. Les morts ne parlent pas, c’est comme ça.
J’ai de la peine pour Alissa. Elle tremble, elle à froid. Ses épaules découvertes et ses maigres bras paraissent bien trop faibles pour supporter tout ce malheur qui la tire vers le bas. Ces poches sombres, tels des hématomes, sous ses grands yeux bleus, ne prouvent pas le contraire. Et les extrémités de ses lèvres pointées vers le bas me font mal.

Pauvre Alissa. Elle est arrivée ici il y a environ un an, couverte de sang, les yeux agrandis par l’horreur. Sa famille avait été assassinée cruellement devant elle par une femme qui aurait dû être des nôtres, une folle parmi tant d’autres.

Pauvre Alissa. Les médecins diagnostiquaient déjà qu’elle ne s’en remettrait pas, qu’elle était bien trop faible et fragile pour ça. On lui avait volé son enfance trop tôt. Maintenant déprotégée, elle était brisée, oppressée, déstabilisée. Ce monde n’était pas pour elle, elle était tombée trop tôt de l’échelle. On ne revient pas en arrière. Même avec des prières, on est mit en arrière. Et après certaines blessures, on ne se relève pas.

C’est son cas à elle, c’est notre cas à tous…

Il y a certaines choses qui ne pardonnent pas… c’est comme ça.

Pauvre Alissa. Elle, si jeune, si pure, ne mérite pas ce sort là. Elle, insouciante, à présent consciente, n’a que neuf ans, et déjà deux pieds sous terre.

Mais je ne peux rien pour elle. Elle est à présent seule dans ce monde cruel où la mort fait la loi. Et ces bras qui auraient pu la réconfortés ne fusse qu’une fois, restent froidement le long de mon corps, frissonnants de vide.

C’est effrayant parfois, mais le monde est fait comme ça. On ne nait pas tous au beau milieu du jardin d’Eden. Certains ont la chance, d’autres ne l’ont pas. Certains ont l’endurance, d’autres encore n’y croient pas. Moi, je ne crois plus en rien, je n’ai pas non plus la force de prétendre le contraire.

Je n’essaye pas d’oublier, c’est trop tard, déjà. Je n’essaye pas de faire partir ces douloureux souvenirs. Ce n’est pas que je suis masochiste. Non, c’est juste que ça ne sert à rien.
Je n’ai plus peur de demain, je n’ai plus confiance en hier, et le temps dansera le temps qu’il faudra, je ne suis qu’insignifiante poussière à la surface de la terre.

Je ne suis qu’un mal-être, ne veux que disparaître.

Je ne crois pas à impossible n’est rien. Je ne suis pas pessimiste, non, juste réaliste. A quoi bon s’apitoyer sur un sort, un agonique destin, si avant sa naissance, la vie scelle déjà sa fin ?

Ceci n’est pas une descente aux enfers, juste la vie d’une jeune fille ayant ouvert les yeux sur une partie de l’univers…



Dans ma main, l’humide feuille de papier est toute chiffonnée.
J’ai mal.
Mais c’est normal…
Au centre de la page est inscrit ton prénom.
Adam…
Je n’étais pas Eve. Peut-être seulement la pomme dans laquelle tu as croqué.
Tu as arraché sauvagement une partie de moi…
Aujourd’hui je ne m’en relèverais pas…



A la suite de ton nom, une phrase était écrite, les mots déformés par la pluie, ou peut-être par mes larmes, qui sait, étaient illisibles. Et pourtant, je m’en souviens encore clairement… de ces mots à l’amour invincible…



Adam…
‘‘Parce que certaines blessures ne guérissent jamais…’’